«Le journalisme civique vise à fournir aux gens des possibilités d'intervention afin de les amener à agir, et encourager l'interactivité entre les journalistes et les citoyens. Il cherche à créer un dialogue avec les lecteurs, au lieu de se borner à transmettre les informations en sens unique et à inonder le public de données, comme cela se passe si souvent dans le journalisme traditionnel.»


— Jan Schaffer, directeur du Pew Center For Civic Journalism

08 août 2008

Motus et bouche foutue

Je jouis, grâce à mes activités de journaliste, d’une position privilégiée de laquelle je peux observer à loisir le jeu des acteurs de la scène adéloise. Je suis en quelque sorte situé au carrefour où se croisent tous les discours, toutes les contradictions, tous les mensonges. Nous assistons actuellement à un grand moment de la comédie adéloise: l’Îlot Grignon. Ce projet à lui seul est un formidable étalon nous permettant de mesurer l’ampleur des dégâts d’un cardinalisme outrageant qui a provoquer l’acculturation adéloise. Faut-il rappeler que la facture actuelle du projet et son insaisissable nature nous les devons à cette inénarrable administration et à quelques-uns de ses sbires qui persistent et signent (toujours) des résolutions à la table du conseil municipal. Situation qui pourrait prendre fin en 2009.

Chaque semaine, je m’applique à ajouter à ma collection les contradictions, les commentaires off record — habituellement les plus pertinents et porteurs d’idées — de la faune politique et économique adéloise à propos de la revitalisation du centre-ville. En toute honnêteté, je n’ai encore recueilli aucun commentaire positif concernant ce projet (à part, bien sûr, ceux émanant des promoteurs). Plus inquiétant encore, certains intervenants de première ligne tiennent en privé un discours diamétralement opposé à celui qu’ils défendent publiquement. Sachez donc que certains défenseurs de l’Îlot Grignon estiment en réalité qu’il s’agit d’un mauvais projet. Étonnant direz-vous? Pas tant que ça, je vous répondrai. C’est le pattern adélois. Celui que j’ai rencontré un nombre incalculable de fois lors de mes échanges avec ces fameux «acteurs» de l’actualité. Peut-on ramollir davantage un consensus déjà mou? Il semble qu’à Sainte-Adèle, la réponse à cette question soit un oui sans équivoque.

Il est là le drame adélois. Pas dans un tellurisme atypique qui ne perturberait que le territoire de la ville. Non, il est dans cette détestable et néanmoins réelle lâcheté, dans ce motus et bouche foutue, dans cette peur irrationnelle de la dissidence. Une ville où tous les «acteurs» sont à ce point prisonniers de leur personnage qu’il devient pratiquement impossible pour eux de se détacher du discours dominant, du scénario écrit, celui qui est encensé publiquement, mais hué en privé. Une ville où objecter rime avec ostraciser. Le projet de l’Îlot Grignon comporte tous les ingrédients qui donnent son arrière-goût à la recette adéloise: un peu de tout, beaucoup de riens. Une manière de nouvelle cuisine mijotée dans le chaudron de l’improvisation.

Attention, on vous parlera de légitimité de gouverner. C’est le nouveau discours:«Nous avons été élus pour prendre des décisions», clame-t-on. Le largage de Fat boy fut aussi le fruit d’une décision. Avec les conséquences que l’on connait. Ainsi, le maire Descoteaux organise de petites rencontres avec des associations de personnes âgées, la fabrique de Sainte-Adèle, le club optimiste, dans le but de présenter différents projets dont celui de l’Îlot Grignon, projet qui officiellement est encore à l’étape conceptuelle. La présidente d’un des groupes de l’âge d’or invité à l’une de ces assemblées de cuisine m’a confirmé qu’on lui a ensuite demandé une lettre d’appui. Être élu pour prendre des décisions consiste-t-il à cautionner les décisions prises par des lettres d’appui soutirées à des groupes de personnes âgées? Un procédé qui soulève de sérieuses questions quant à la volonté de transparence exprimée lors de la campagne électorale. L’Administration Descoteaux tenterait-elle avec ces demandes d’appuis de contrebalancer un mouvement citoyen émergent?

De bonnes idées, il en circule des masses dans cette ville. Seulement, elles ne parviennent que trop rarement à occuper les tribunes qui sont sous l’occupation d’un système qui se nourrit de lui-même et qui est figé dans un immobilisme et un mutisme incurables.

Sainte-Adèle retrouvera sa voix lorsque les langues se délieront. Lorsque le discours off record occupera enfin la place publique. Lorsque la peur de la dissidence sera muselée. Lorsque la petite politique deviendra grande. Car Sainte-Adèle est une foutue belle ville. Une ville de promesses, de paysages et d’histoire, celle qui l’a construite et celle qui reste à écrire.

Éditorial publié dans l'Accès, édition du 8 août 2008

Aucun commentaire: